« We’ve Seen Things. »
En misant sur un langage visuel post-moderne attrayant et haut en couleur, le duo bruxellois memymom porte un regard critique sur le monde d’aujourd’hui. Dans le cadre de leur exposition soigneusement élaborée, les deux artistes posent ouvertement des questions brûlantes sur le monde de demain.
Avec Home Game, le Botanique présente la première grande rétrospective de memymom à Bruxelles, ville natale du duo d’artistes composé par Marilène Coolens et Lisa De Boeck (mère et fille). L’exposition présente plus de 220 œuvres de memymom, échelonnées de 1990 à aujourd’hui, pour donner une suite beaucoup plus large et complètement réinventée à leur exposition personnelle au Musée de la Photographie de Charleroi (2018). L’élément central ? La symbiose fascinante entre les deux artistes, aussi primordiale lors de la conception que de la réalisation des œuvres. Les deux artistes autodidactes font pratiquement tout elles-mêmes : photographie, recherche des décors et des lieux, casting, stylisme, éclairage et postproduction. Un projet unique à quatre mains.
Du neuf et de l’inédit
Fleuron de cette exposition : We've Seen Things, une œuvre de 2018. Le duo veut que le spectateur porte lui aussi un regard sur certains des changements récents qu’ont connus le monde et la société. Des changements qui ont laissé une impression profonde et que beaucoup reconnaîtront. Comme à Charleroi en 2018, Somewhere Under the Rainbow, The Digital Decade et The Umbilical Vein forment les trois « chapitres » au sein desquels memymom a tracé son parcours artistique jusqu’à aujourd’hui. Ils constituent le fil rouge de l’exposition, qui comporte de nombreuses photographies inédites. Le duo bruxellois très productif lève petit à petit le voile sur ce qu’il a fait ces trente dernières années.
La salle du musée du Botanique se prête parfaitement à la scénographie de cette exposition : le visiteur commence en bas par le chapitre le plus récent, Somewhere Under the Rainbow (2016-2021). Les galeries de l’étage accueillent une rétrospective sécurisée de The Digital Decade (2010-2015) et, dans l’espace sacré du fond, The Umbilical Vein (1990-2003). À noter que Lisa De Boeck n’a pas toujours été la protagoniste. Les collaborations avec divers acteurs, danseurs et interprètes de l’entourage de memymom sont mises en évidence séparément sur les murs de droite de la salle. Cette chronologie inversée met en lumière les contrastes de l’évolution artistique du duo au travers de références et de réflexions récurrentes dans l’espace et les récits. Les personnages que Lisa jouait quand elle était enfant évoluaient dans un monde imaginaire tandis que ceux qu’elle incarne aujourd’hui dépeignent une réalité moins insouciante dans des décors réels. Cet engagement a de plus en plus marqué la signature de memymom.
Somewhere Under the Rainbow
Avec Somewhere Under the Rainbow, qui occupe tout le rez-de-chaussée de la salle principale, le duo frappe fort et tend un miroir au spectateur. Les images de ce chapitre entamé en 2016 s’appuient sur les œuvres antérieures des artistes. De prime abord, les images semblent accessibles, colorées et accrocheuses, jusqu’à ce que les appâts et les rebondissements captent l’attention du spectateur : il ne faut pas se fier aux apparences.
Alors qu’à l’époque, son univers se caractérisait principalement par l’intimité, l’introspection et des références partiellement autobiographiques, dans ces 60 photographies, dont beaucoup n’ont jamais été exposées, le duo aborde le monde frontalement. Profondément impressionnées par les tendances politiques qui menacent d’accroître l’injustice et la répression, les artistes de memymom réagissent vivement à ce qu’elles ont vu se produire. Elles contribuent à organiser la résistance, en impliquant leur art dans cette résistance. Le spectateur est invité à être attentif et à opérer une prise de conscience, guidé par les innombrables références aux classiques de la culture populaire (lowbrow) et intellectuelle (highbrow).
Animée par une soif de compassion, la nouvelle œuvre interpelle le spectateur dans un registre très personnel, en appelant de manière à peine voilée à la participation et à la résistance. Pour ce faire, en dansant sur la bande-son de périodes sombres, le duo crée des archétypes contemporains qui ne basculent jamais dans la caricature. De même que tout est imbriqué dans le monde réel, les différents personnages et diverses situations des photos tissent des liens « hors champ » et, ensemble, ils racontent une histoire poignante. Le tout au sein d’une iconographie impressionnante et idiosyncratique qui enrichit considérablement le langage visuel propre à memymom.
memymom a capturé des scènes dystopiques à Bruxelles. Dans le cadre de l’exposition, ces images sont renforcées et complétées par des prises de vue réalisées en Espagne, aux États-Unis et dans le studio à domicile des artistes pendant le confinement.
The Digital Decade
Face aux photographies précédemment exposées et tirées de ce chapitre, avec des images de la série The Baby Blues pour ouvrir et fermer la balade le long du mur supérieur gauche, huit groupes de photographies issues d’autant de séries de la période 2010-2015 s’offrent aux yeux du spectateur. Ces photos sont le fruit de diverses collaborations de memymom, à commencer par la série The Nurse, exposée en 2011 ; la première apparition publique du duo. Les autres séries sont : En Attendant (2011), Nunsense (2012), The Patient (2012), The Lady of the House (2012), The Parody (2012), La Petite Princesse (2012) et Windows on the World (2014).
The Umbilical Vein
À la fin de l’exposition, le spectateur découvre les photos qui ont tout déclenché. Pendant 13 ans, Marilène Coolens a photographié sa fille qui, enfant, adorait rejouer des scènes de théâtre et de cinéma. Sa mère l’a toujours encouragée dans sa démarche. Résultat : de riches archives de photos argentiques, qui ont fini par être rendues publiques. En 2013, elles ont été exposées au centre culturel De Brakke Grond à Amsterdam. La réinterprétation et la revalorisation du travail passé sont une constante dans l’art de memymom. Pour la première fois, l’exposition présentera des photographies qui mettent en scène Lisa, mais aussi son frère Michael, entre autres.
Ces images sont plus que de banales photos qu’une mère a prises de sa fille, elles illustrent la manière dont une enfant a vécu sa jeunesse avec intensité et créativité. Les photos sont une véritable mine d’or pour le duo, qui possède encore tous les originaux et les négatifs. À mesure que les instantanés de qualité et quelque peu bruts de The Umbilical Vein deviennent vintage, ils évoquent des souvenirs des années ‘90 et font naître un sentiment de nostalgie fortement influencé par ce qui se passe actuellement dans le monde. Le fait de pouvoir observer ces photos à la lumière de travaux récents permet de se rendre compte à quel point memymom ne s’est jamais résigné aux attentes au fil du temps, et a obstinément tracé sa propre voie.
Mystère et complexité
Chaque chapitre de memymom se caractérise par un style narratif et un ton propres. Plus qu’une mine de contrastes, l’exposition est surtout l’occasion de chercher des liens, des clins d’œil et des réflexions sur les différents murs. Une quête rendue encore plus passionnante par le mystère que recèle chaque image et qui n’est pas toujours levé facilement. Certaines références sont très personnelles et ne peuvent pas vraiment être décortiquées, ce qui donne une œuvre complexe aux multiples facettes, qui garde néanmoins comme fil conducteur la recherche de la beauté. L’exposition et le catalogue montrent clairement comment le duo memymom est résolument resté fidèle au même discours artistique fascinant, sans faire de concessions, mais en se montrant ouvert à de multiples influences. Somewhere Under the Rainbow, avec son indéniable côté obscur, reflète la facilité et l’énergie avec lesquelles les deux artistes ont su transposer le côté intime et personnel des premières années dans des thèmes universels et bien d’actualité.
Catalogue
A l’occasion de l’exposition à Botanique, un catalogue était publié avec des textes de François Cheval, Geert Stadeus & Alice Zucca
memymom est le fruit de la collaboration artistique mère-fille réunissant Marilène Coolens et Lisa De Boeck. Né dans les années 1990, leur projet transgénérationnel se compose d’archives intimes et de photos de famille dans lesquelles Marilène incite sa fille Lisa à s’exprimer et à s’inventer en improvisant ses propres scènes théâtrales. Depuis 2004, les protagonistes travaillent ensemble derrière et devant l’objectif, simultanément photographe et modèle. Au fil des ans, les portraits oniriques et partiellement mis en scène de memymom ont mûri en une conversation sur la métamorphose, l’identité personnelle, le potentiel, ainsi qu’en un plaidoyer pour l’analyse sensuelle et le romantisme tragique, comme l’illustre irréfutablement leur dernière série Somewhere Under the Rainbow.
Au travers de ce livre, qui représente l’aboutissement et le prolongement de leur travail récent, les deux artistes dévoilent la manière dont leurs thèmes et leur langage visuel ont conservé leur identité propre ces trente dernières années, tout en évoluant de manière fascinante en termes d’esthétique et de contenu, par le biais de références et de réflexions récurrentes. Cette exposition est aussi l’occasion de découvrir comment la participation d’un groupe hétéroclite d’autres individus jouant chacun un rôle différent fait partie intégrante de leur processus artistique depuis toujours.
CREDITS
Production Exposition & Catalogue: Le Botanique
Co-production Exposition: Le Musée de la Photographie à Charleroi, CCHA, VSAC & Vlaams Cultuurhuis ‘de Brakke Grond’
Concept & Curation: memymom
Avec le soutien de Milo-Profi & Cadrus
Special Thanks to Geert Stadeus